L'esthétique de la céramique Tenmoku et de la culture du thé
La symbiose entre l'esthétique de la porcelaine Tenmoku et la culture du thé
La renommée du Jian Zhan (Tenmoku) est indissociable de l'influence de la culture du thé. Sous la dynastie Song (960-1279), la culture chinoise du thé atteignit un essor sans précédent. S'appuyant sur les traditions du thé de la dynastie Tang (618-907), les érudits Song affinèrent et approfondirent les pratiques du thé, instaurant des rituels uniques d'appréciation du thé. Comme le dit le dicton : « L'eau est la mère du thé, et le récipient son père. » Bien que le Jian Zhan soit né à la fin de la période Tang et des Cinq Dynasties (IXe-Xe siècles), il connut son apogée sous la dynastie Song, où la culture du thé et la céramique évoluèrent de concert. Ces bols à thé à glaçure noire devinrent des récipients incarnant l'éclat littéraire et la maîtrise artistique de l'époque Song.
Du passe-temps populaire à l'élégance impériale
Lors de la transition des Tang aux Song, la préparation du thé passa de l'infusion au fouettage. Ceci conduisit à l'essor des doucha (斗茶, « concours de thé ») à Jian'an (aujourd'hui Fujian). Les participants infusaient leurs meilleurs thés et les jugeaient en fonction de leur couleur, de leur arôme et de la texture de leur mousse. Tandis que les bols à glaçure sombre accentuaient la blancheur de la mousse du thé fouetté, le Jian Zhan devint le récipient privilégié pour ces concours. Ce qui n'était au départ qu'un passe-temps populaire captiva rapidement la cour impériale. L'empereur Huizong (r. 1100-1126) et l'aristocratie plébiscitèrent le Jian Zhan pour sa capacité à conserver la chaleur, à rehausser le parfum du thé et à dégager une élégance discrète. Son glaçure noire, sereine et brillante, résonnait avec la quête de subtilité et de sophistication de l'élite Song, en phase avec les idéaux néoconfucéens de l'époque, mêlant tranquillité taoïste et introspection bouddhiste.
Renaissance d'un art perdu
Pendant des siècles, le Jian Zhan a été chéri à l'étranger, vénéré par les moines zen japonais et collectionné par les connaisseurs européens. Le légendaire Yohen Tenmoku (曜变天目), un Jian Zhan à la glaçure irisée « étoilée », demeure un trésor national japonais. Pourtant, dans son pays d'origine, cet art a disparu après la dynastie des Song.
En 1979, sous la direction de Liu Tangshen, une équipe de restauration composée d'experts de l'Académie centrale d'artisanat, de la Commission scientifique du Fujian et de fours locaux s'est donné pour mission de faire revivre le Jian Zhan. Après deux ans de recherche et d'expérimentation, ils ont réussi en 1981 à recréer un émail « poil de lièvre » de style Song, en utilisant des fours dragon traditionnels et une cuisson au bois. Ce fut la renaissance d'une technique perdue depuis plus de 700 ans.
L'alchimie de Jian Zhan
La production de Jian Zhan comprend 13 étapes méticuleuses : sélection de l'argile et du minerai riches en fer, vieillissement de l'argile, tournage, taille, cuisson en biscuit, émaillage et enfournement. La magie réside dans sa glaçure aux cristaux de fer. À des températures supérieures à 1 300 °C, les oxydes de fer contenus dans la glaçure se réduisent, formant des motifs tels que des poils de lièvre, des taches d'huile ou des plumes de perdrix. Chaque pièce est unique, fruit d'un mélange de chimie et de hasard.
Défis de la maîtrise
- Argile et façonnage : L'argile à haute teneur en fer (8 % Fe) est cassante et sujette au gauchissement. Les artisans doivent tenir compte d'un taux de retrait de 20 % lors du façonnage.
- Émail et cuisson : L'émail épais et fluide se fissure facilement pendant le séchage. Au four, les fluctuations de température déterminent la cristallisation ou la dissolution des motifs. Les taches d'huile bleu argenté sont particulièrement éphémères.
- S'abandonner au feu : même avec précision, le succès est rare. Un bol en fourrure de lièvre impeccable est obtenu en 1/1000 cuissons ; une « plume de perdrix » en 1/10 000 ; un émail « étoile » de type Yohen en 1/1 000 000.
Une nouvelle ère pour Jian Zhan
En 2011, les techniques de cuisson de Jian Zhan ont été inscrites au patrimoine culturel immatériel national de Chine. Aujourd'hui, les artisans de Jianyang innovent tout en honorant la tradition. Au-delà du thé, Jian Zhan orne désormais les récipients à vin, l'art floral et les rituels d'encens, sa beauté solennelle s'adaptant à l'esthétique moderne.
Chaque Jian Zhan est un dialogue entre passé et présent, terre et flamme. Tandis que les fours crépitent à nouveau, cet art ancestral, forgé dans le feu et la philosophie, continue de captiver, incarnant la quête intemporelle de la dynastie Song : la perfection dans l'imperfection.